
C’est facile de rater un rĂ©veillon. Inviter trop de personnes, dĂ©cider de se retrouver dans un endroit public, choisir un thĂšme contraignant, ya plein de solutions Ă©videntes pour que ça se passe mal.
Avec les annĂ©es, et comme on a envie que ça se passe bien, on essaye de fĂȘter la nouvelle annĂ©e de maniĂšre simple. Des amis, ce qu’on a envie de manger et c’est tout. Ce n’est pas que nous sommes superstitieux, mais c’est le premier jour de l’annĂ©e, alors, forcĂ©ment, on a envie de se sentir bien.
Une dizaine de personnes, c’est le maximum, je crois. Nous Ă©tions douze, dont trois personnes plus ou moins inconnues, et je me suis dis que c’Ă©tait peut-ĂȘtre beaucoup. AprĂšs, j’ai essayĂ© de me dire que c’Ă©tait ridicule, qu’il ne fallait pas ĂȘtre un connard, que ce n’est pas parce que je connaissais pas ces personnes que ça allait mal se passer. A table, il y avait une majoritĂ© d’amis Ă qui je confierais ma vie, j’ai pensĂ© que ça serait suffisant pour que le diner se dĂ©roule bien.
Je ne sais pas comment exactement ça a commencĂ©. Je crois que ce n’est pas vraiment ce qu’il a dit, en fait; une connerie sur les sapins de NoĂ«l soit-disant supprimĂ©s dans des Ă©coles sous la pression supposĂ©e d’une association musulmane. C’est que quand il l’a dit, nous avons tous compris oĂč menait sa rĂ©flexion. Et deux phrases plus loin, comme nous savions dĂ©jĂ , il a regrettĂ© quand mĂȘme que les Arabes ne veuillent pas s’intĂ©grer plus.
Nous sommes 12 Ă table et j’ai un voile noire qui tombe devant mes yeux. Nicolas se lĂšve et part dans la cuisine. Je me lĂšve Ă mon tour et je hurle sur le garçon qu’on va arrĂȘter tout de suite les conneries et qu’on aime pas les idĂ©es d’extrĂȘme-droite ici. Que si il veut continuer Ă raconter des horreurs, il va aller le faire ailleurs.
Donald, avec sa tĂ©nacitĂ© et sa passion de la discussion, continue de dĂ©monter ses idĂ©es prĂ©-mĂąchĂ©es, alors que tout le monde quitte la table petit Ă petit. Dans la cuisine, j’essaye de maĂźtriser mes tremblements et Nicolas essaie de ne pas casser d’assiette en faisant la vaisselle.
Au bout de 10 minutes, il est Ă©vident que la diner est mort. Les amis qui avaient invitĂ© cet homme prĂ©fĂšrent partir avec lui. Nicolas n’a mĂȘme pas rĂ©ussi Ă sortir de la cuisine pour leur dire au revoir. Nous nous sommes retrouvĂ©s, assommĂ©s, autour d’une table dĂ©sormais trop grande. Le fromage a eu un goĂ»t amer.
Nous voulions juste, pour un soir, avoir un espace de libertĂ©, dans lequel on n’aurait pas Ă se confronter au racisme, Ă l’homophobie. ĂŠtre avec des gens qui nous veulent du bien, pour entrer dans la nouvelle annĂ©e le cĆur lĂ©ger. AprĂšs tous ses mois Ă supporter des dĂ©bats iniques sur nos amours et nos vies, des accusations dĂ©gueulasses sur nos pratiques, nous nous dĂ©couvrons plus que fragiles, Ă©corchĂ©s, brulants de colstĂšre. C’est pour ça que l’irruption de ces idĂ©es ignobles nous a touchĂ©e aussi fort et que notre seule rĂ©action, viscĂ©rale, de protection, a Ă©tĂ© d’en expulser la source.
Le mois dernier, dans le train pour Cologne, nous Ă©tions Ă cĂŽtĂ© d’une famille Cyrillus parfaite, avec les deux chiards, le pĂšre en chemisette-petit pull et la mĂšre avec sa tronche de catho cool. Les gamins Ă©taient insupportables et la seule chose Ă laquelle je pouvais penser, c’Ă©tait: Je suis sĂ»r qu’ils sont contre l’ouverture du mariage.
Les dĂ©bats que nous avons en ce moment, ce n’est pas une mode, ce ne sont pas des paroles qui disparaitront. C’est un big fucking deal. Il s’agit de savoir ce qu’on veut comme sociĂ©tĂ©, qui sont nos vrais amis et qui sont les homophobes, parce qu’encore une fois, il n’y a pas d’entre deux. Si tu n’es pas pour le mariage des homos dans le contexte actuel, c’est que tu es homophobe. (Si tu es contre le mariage tout court, demande toi pourquoi on t’a jamais vu manifester ou tout simplement l’ouvrir sur le mariage des hĂ©tĂ©ros.) Si tu penses qu’un couple homosexuel n’est pas compĂ©tent pour Ă©lever un enfant, tu es homophobe.
Ces soit-disant dĂ©bats sont bien plus gros que le mariage. C’est un moment historique parce que c’est le moment oĂč l’Ă©tat, aprĂšs nous avoir enfermĂ©s, condamnĂ©s, laissĂ©s crevĂ©s nous dit : vous avez autant de valeur que les autres citoyens. C’est le moment oĂč les jeunes se diront, si je veux, je peux avoir un mariage avec ma famille. C’est le moment oĂč le mec avec qui vous ĂȘtes depuis 10 ans devient votre famille. Et face Ă ce moment, se dressent des gens qu’on croyait morts depuis le siĂšcle dernier et qui insistent pour prouver que notre couple n’est pas Ă©gal Ă leur couple. Qui consiDĂ©?rent que nous devons ĂȘtre maintenus dans le statut infĂ©rieur qui nous Ă©tait rĂ©servĂ© jusqu’Ă prĂ©sent. Qui nous disent : Ton couple vaut moins que mon couple. Par essence. Qui nous tolstĂšrent que quand on est dans le placard, malheureux. Ces gens, ce sont les mĂȘme qui ne supportent pas les minoritĂ©s. Des personnes qui s’accrochent Ă leurs privilĂšges, supposĂ©s ou rĂ©els, comme si leur vie en dĂ©pendait.
Ces dĂ©bats sont un moment de vĂ©ritĂ©, qui va laisser des traces dans la sociĂ©tĂ© et qui va la changer profondĂ©ment. Savoir que nous sommes du bon cĂŽtĂ© de l’histoire ne protĂšge pas des brĂ»lures de ces insultes ou de celles du silence de nos soit-disant alliĂ©s. Maintenant, j’ai eu la preuve qu’il y a beaucoup plus de gens que je ne pensais qui m’en veulent, tout simplement parce que j’aime les barbus. Et je ne pourrais plus jamais regarder une famille hĂ©tĂ©ro traditionnelle de la mĂȘme maniĂšre.
Il n’a probablement pas compris pourquoi ce qu’il avait dit Ă©tait aussi insupportable, cet homme. Il a juste sorti Ă table les idĂ©es pourries qui circulent partout, celles dont on avait honte dans les repas de familles et qui sont dĂ©sormais l’obsession de la politique française. Et comme il est hĂ©tĂ©ro, il n’a pas l’habitude qu’on lui dise qu’on ne veut pas entendre ce qu’il dit. Il n’a aucune idĂ©e de ce que c’est une position minoritaire, alors, quand, au boulot, on le traite de sale blanc, c’est la fin du monde et la sociĂ©tĂ© française va exploser. Peut-ĂȘtre qu’il ne demandait qu’Ă ĂȘtre convaincu, qu’il aurait pu comprendre qu’il faisait fausse route.
Ce soir lĂ , nous n’avons pas pu discuter, parce que nous sommes Ă bout. Je n’ai plus rien en moi pour ces gens-lĂ . Plus de patience, plus de tolĂ©rance, rien. Je suis abimĂ© par ces mois d’horreurs et rien ne sera plus jamais comme avant.
Ce n’Ă©tait pas une victoire, de voir cet homme partir les larmes aux yeux, c’Ă©tait une dĂ©faite. La sienne et la nĂŽtre. Il n’y a rien d’autre que nous avons rĂ©ussi Ă faire. Le cĆur coulĂ© au fond du ventre, je me suis rendu compte qu’il n’existait mĂȘme pas d’espaces de libertĂ©. Que mĂȘme notre petite forteresse d’amour ne suffisait pas Ă nous protĂ©ger. Que nous avons dĂ©jĂ perdu, mĂȘme si nous dĂ©crochons le mariage. Nous allons vers la nuit.
Quand les douze coups de minuit ont sonné, nous nous sommes étreints un peu plus fort, en espérant que notre amour suffirait à fermer nos blessures et à conjurer les mauvais augures du réveillon.
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