De toutes les peurs rĂ©pertoriĂ©es, celle du sida Ă©tait la plus forte. Les visages Ă©maciĂ©s et transfigurĂ©s des mourants cĂ©lĂšbres, d’HervĂ© Guibert Ă Freddy Mercury âdans son dernier clip tellement plus beau qu’avant avec ses dents de lapinâ, manifestaient le caractstĂšre surnaturel du «flĂ©au», premier signe d’une malĂ©diction jetĂ©e sur la fin du millĂ©naire, un jugement dernier. On s’Ă©cartait des sĂ©ropositifs âtrois millions sur la terreâ et l’Ă©tat s’Ă©vertuait en spots moraux Ă nous convaincre de ne pas les prendre pour des pestifĂ©rĂ©s. La honte du sida en remplaçait une, oubliĂ©e, de la fille enceinte sans ĂȘtre mariĂ©e. ĂŠtre soupçonnĂ© de l’avoir valait condamnation Isabelle Adjani a-t-elle le sida? Rien que de passer le dĂ©pistage Ă©tait suspect, l’aveu d’une faute indicible. On le faisait en cachette Ă l’hĂŽpital sous un numĂ©ro, sans regarder ses voisins de salle d’attente. Seuls les contaminĂ©s par transfusion dix ans plus tĂŽt avaient le droit Ă la compassion et les gens se soulageaient de la peur du sang des autres en applaudissant Ă la comparution en Haute Cour de ministres et d’un mĂ©decin pour «empoisonnement». Mais somme toute, on s’accommodait. On prenait l’habitude d’avoir un prĂ©servatif dans son sac. On ne le sortait pas, l’idĂ©e de s’en servir paraissant d’un seul coup inutile, une insulte au partenaire âregrettant aussitĂŽt aprĂšs, passant le test, attendant le rĂ©sultat avec la certitude qu’on allait mourir. A l’annonce que non, exister, marcher dans la rue Ă©tait d’une beautĂ© et d’une richesse sans nom. Mais entre la fidĂ©litĂ© et le prĂ©servatif, il fallait choisir. Au moment oĂč il Ă©tait impĂ©ratif de jouir de toutes les façons, la libertĂ© sexuelle redevenait impraticable.
Les adolescents écoutaient Doc et Difool sur Fun Radio, ils vivaient dans le sexe en gardant leurs secrets.
Il y avait autant de chÎmeurs en France que de séropositifs sur la terre entiÚre.
 » Les années, Annie Ernaux, Folio.
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