Le 184

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Donc nous sommes à la boulangerie, ma préférée, celle rue de Pyrénées, juste au sud de la Place Gambetta. Mon ami canadien Klaus est à Paris pour deux jours, nous avons passé la journée à faire du shopping de Noël et maintenant, Klaus veut manger un éclair au chocolat français.

Dans la queue devant nous, il y a un homme d’Ă  peu prĂšs notre Ăąge, assez jeune donc, mais plus de 25 ans quand mĂȘme, arabe. Il est un peu agitĂ©, mais je suis en pleine une conversation en anglais avec Klaus et je ne lui prĂȘte pas plus d’attention que ça, surtout qu’on parle de pĂątisseries.

On achĂšte nos Ă©clairs, et une brioche aux pralines pour le petit dĂ©jeuner. Le jeune homme, que j’avais gardĂ© dans le coin de mon regard, est dĂ©sormais, avec sa pĂątisserie, sur une table haute prĂšs de la sortie.

Juste au moment oĂč nous allons sortir, nous avons un Ă©change trĂšs rapide:

 » Excusez moi, me demande-t-il, d’une voix sourde mais intense, vous connaissez cette adresse?

Sur un papier blanc plié en quatre, je lis : 184 rue des Pyrénées, 75020 Paris.

 » Eh bien, lui dis-je, vous ĂȘtes sur la bonne rue, mais je ne sais plus si c’est au nord ou au sud de la place. Je pencherais pour le sud, allez vers la gauche en sortant.
 » Vous ne connaissez pas cette adresse?
 » Non, désolé.
 » Pas grave, merci!

Sur le chemin du retour, je traduis Ă  Klaus le contenu de l’Ă©change et je commence Ă  regarder les numĂ©ro. J’avais raison. Le 184 doit ĂȘtre plus au sud, et si je compte bien, juste aprĂšs la rue Stendhal, c’est Ă  dire au niveau du Ryad, le sauna gay. Ah.

Clic. Tout s’emboite et je comprends mieux le ton, tout en retenue, du jeune homme. Il ne me demandait pas si je connaissais l’adresse, il voulait plutĂŽt savoir si je connaissais l’Ă©tablissement. Il Ă©tait un peu nerveux parce qu’il n’Ă©tait jamais venu ici et s’Ă©tait probablement dit que demander l’avis aux pĂ©dĂ©s locaux Ă©tait une bonne idĂ©e.

Ainsi, au milieu de la boulangerie dĂ©corĂ©e pour NoĂ«l, d’une maniĂšre complĂ©tement invisible pour le reste de la clien tĂšle, nous avons partagĂ© un moment interlope fugace, tellement discret que je ne l’ai pas identifiĂ© avant qu’il ne soit terminĂ©.

Une fois rentrés, devant nos éclairs, nous avons médité sur les merveilles des langages secrets des minorités et sur le fin réglage du gaydar, qui nous permet de nous reconnaßtre les uns les autres au milieu de la foule. Ou bien était-ce simplement la brioche aux pralines.

Commentaires

2 rĂ©ponses Ă  “Le 184”

  1. Avatar de Matoo

    Le pauvre, il n’ira mĂȘme pas au Ryad du coup !! :'(

  2. Avatar de g°erboise
    g°erboise

    Peut-ĂȘtre que si, Matoo, il aura demandĂ© Ă  quelqu’un d’autre…

    (en tout cas j’avais devinĂ© avant la chute de quel adresse il s’agissait en rĂ©alitĂ©… :o))

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