La voie

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Je ne suis plus le mĂȘme. ça m’a frappĂ© dans la rue, comme presque toutes les rĂ©vĂ©lation Ă©videntes, en savourant le soleil du printemps, rue de Rennes. Je ne suis plus le mĂȘme qu’il y a quelques annĂ©es.

En fermant les yeux sous la caresse des rayons, je me demandais ce qui pouvait bien bloquer autant mon Ă©criture. Depuis des mois, je n’ai pas eu besoin, ni eu envie d’Ă©crire. J’en ressens une sorte de culpabilitĂ© inquiĂšte, parce que je pense toujours que si je n’arrive pas Ă  me rĂ©aliser, au moins timidement, comme artiste, je n’aurais pas rĂ©ussi ma vie. J’ai passĂ© mon adolescence Ă  essayer divers disciplines artistiques, la photographie, la danse, le dessin, la guitare, la poĂ©sie mĂȘme, bien sĂ»r l’Ă©criture, sans me consacrer vraiment Ă  aucune. Je cherchais ma place, dĂ©jĂ , et j’ai abandonnĂ© des choses en cours de route, parce que je n’avais pas le temps de tout faire, parce que je n’avais les moyens de tout faire, parce que je n’ai jamais trouvĂ© un sujet, un art, un endroit aussi peut-ĂȘtre, auquel je puisse appartenir. 

Aujourd’hui, je ne suis plus le mĂȘme et je ne peux plus Ă©crire de la mĂȘme maniĂšre. En classe de troisiĂšme, j’Ă©crivais mon deuxiĂšme essai de roman, sans peur, sans gĂȘne, sans vergogne. Je voulais juste Ă©crire, rĂ©pondre Ă  cet appel de la page et jouer avec les mots, les faire tinter, les assembler comme des lĂ©gos toujours neufs, relire mes Ă©crits en prononçant chaque syllabe clairement, pour savourer la beautĂ© de la phrase bien tournĂ©e. Je ne me suis jamais pris pour Proust, je savais dĂ©jĂ  que j’Ă©tais trop jeune pour Ă©crire vraiment. C’Ă©tait clair, Ă©trangement, dans mon esprit; je devrais attendre. Je devrais vivre d’abord, pour avoir quelque chose Ă  exprimer. Pour oser prendre la parole, je devrais attendre d’avoir quelque chose Ă  dire. 

Cette humilitĂ© n’Ă©tait pas forcĂ©e. Je n’ai jamais pensĂ© que ce que j’Ă©crivais puisse intĂ©resser quelqu’un d’autre que moi. Ă©crire, ce n’Ă©tait pas forcĂ©ment ĂȘtre lu. Puis ça l’est devenu, en partie grĂące au blog. L’analyse a renforcĂ© ma certitude que les mots ont un poids, une force, qu’ils ont une vĂ©ritĂ© encore plus forte quand on les Ă©crit. ça ressemble au chant, en fait. C’est une vibration, qu’on Ă©met pas forcĂ©ment en direction de quelqu’un de prĂ©cis, mais parce qu’on doit le faire. On a la voix dans la tĂȘte avant de l’avoir dans la gorge comme les situations existent avant qu’on ne les Ă©crive. 

Aujourd’hui, j’ai toutes ses vies dans ma tĂȘte, des mondes entiers que je voudrais faire sortir, des situations qui m’arrachent des larmes quand je les mets en scĂšne derriĂšre mes paupiĂšres, tout un théùtre de la vie, et je n’arrive pas Ă  les partager. ça m’interroge beaucoup, Ă©videmment, ça m’attriste mĂȘme parfois. 

Mais je ne suis plus le mĂȘme. Ce que je viens de comprendre, c’est que je ne peux plus Ă©crire la mĂȘme chose. J’ai d’autres choses Ă  raconter, qui demande de nouvelles façons de le faire. C’est rĂ©confortant, en fait. Il me reste juste Ă  trouver ma voie.