Le rĂȘve de l’immigrant

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– Tu connais le rĂȘve de l’immigrant ?
– C’est de qui ?
– Non, c’est pas un livre, c’est un rĂȘve, un vrai, c’est quand tu rĂȘves, qu’au moment de retourner chez toi, dans ton pays, tu te retrouves sans rien, tu ne trouves pas ton passeport, ni tes papiers.

Plusieurs de mes amis m’en avait parlĂ©. ça m’est arrivĂ© plusieurs fois. J’ai fait un rĂȘve, pas un cauchemar, un mauvais rĂȘve. J’arrivais en France et les jeans que j’avais achetĂ© tombaient en lambeau, je me disais, merde, c’est pas possible, je viens de les acheter. ça ne peut pas arriver. Mais si. ça arrive. Je suis nu. Je n’ai rien.

Cette fois, ce n’est pas une surprise, je passe mon temps Ă  planifier ce genre de situation d’urgence, je sais globalement ce que je dois faire, les choses dont je ne peux pas me passer, celles que je vais devoir laisser derriĂšre moi. Je prĂ©pare l’affiche de la vente de mes meubles avec application, j’ai fait une liste des choses qui me faut faire avant de partir, des choses Ă  faire pour partir. Je me sens un peu las, si fatiguĂ© parce que j’ai bien dĂ©cidĂ© d’accompagner le coup, de voir dans cette imprĂ©vu une opportunitĂ©, une joie. Je veux cĂ©lĂ©brer ma toute nouvelle libertĂ©, je ne suis pas mis Ă  la porte de ce pays, au contraire, je peux partir oĂč je veux.

Tant de choix. Tant de changements, en deux jours. Le plus dur, Ă©videmment, c’est de prĂ©venir les gens, les proches, les moins proches, ceux dont j’ai connu la peau, ceux dont j’aurai aimĂ© connaĂźtre la peau. C’est dur de sentir les gens se dĂ©tacher parce qu’ils ne savent pas comment rĂ©agir et que dĂšs que tu parles de partir, tu n’es dĂ©jĂ  pour eux plus lĂ . Rester positif, toujours, parce que il y a toujours du bon dans le changement et que je ne peux pas craindre ce sur quoi je n’ai pas d’emprise.

Je souris, sincĂšrement, mais je ne peux pas nier cette boule sous mon plexus, cette plaque qui me coince le dos, ces pleurs qui vont bien devoir sortir, mais plus tard, quand je serai arrivĂ© Ă  la fin de ma liste. Quand je repenserai Ă  ce soleil dans cette rue. A ce stade de base-ball dans la nuit. Ă€ ces Ăźles, Ă  leurs plages. Quand je me souviendrai que perdre une ville, c’est aussi perdre tout ses possibles, ces hommes aux barbes douces et aux accents sophistiquĂ©s. Ă€ ce bruit bizarre que j’entends tous les soirs Ă  minuit. Ă€ la voix de mon ami. A mon lit, qui ne sera plus jamais mon lit.

Je vois la grande image, comme on dit en anglais, je suis en bonne santĂ© et je vais voir mes amis et ma famille. Je vais toujours demander mon immigration parce que c’est ce que je veux faire. Mon rĂȘve de l’immigrant Ă  moi n’est pas un cauchemar, c’est un rĂȘve d’amour, un rĂȘve de paix dans mon psychisme rĂ©parĂ©. Une chaleur, une pulsion sur mon vĂ©lo, une libertĂ© certainement, une lĂ©gstĂšretĂ©. C’est le numĂ©ro un de ma liste: rester positif.